Pour rappel, l’article L. 1154-1 du Code du travail organise la charge de la preuve dans le cadre de litige entre un salarié et un employeur sur des faits de harcèlement moral ou sexuel :
« Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »
Il s’agit du même mécanisme que pour des faits de discrimination (voir par exemple un de nos récents articles : l’absence d’entretien d’évaluation laisse supposer l’existence d’une discrimination syndicale) :
1. Le salarié doit, d’abord, apporter des éléments de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement ;
2. … à charge pour l’employeur de démontrer que ces faits ne constituent pas des agissements constitutifs d’un harcèlement ou de s’expliquer sur la ou les éventuelles décisions litigieuses.
Ce régime de preuve très aménagé a justement été construit pour des actes ou des faits particulièrement difficiles à démontrer (harcèlement et discrimination).
La question qui est régulièrement posée aux juges est celle de savoir à partir de quand on peut considérer que des faits sont de nature à « laisser supposer » l’existence d’un harcèlement ou d’une discrimination.
C’était justement le sujet de l’arrêt du 31 octobre 2012.
En l’espèce, la salariée ne disposait que de peu d’éléments :
– des attestations démontrant qu’elle avait régulièrement « pleuré » sur son lieu de travail après des échanges ou entretiens avec son supérieur hiérarchique,
– l’absence d’entretien annuel d’évaluation,
– et des certificats médicaux démontrant qu’elle souffrait d’un « syndrome dépressif ».
La Cour d’appel de DIJON avait rejeté les prétentions de la salariée.
La Cour de cassation censure cette décision et nous fournit un bel argumentaire sur la charge de la preuve en matière de harcèlement moral.
« Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
Attendu qu’en application de ces textes, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
[…]
Qu’en statuant ainsi, en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par la salariée, alors qu’il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis, dont les certificats médicaux, laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés »
En définitive, l’arrêt nous fournit un double enseignement :
1. Les juges ne peuvent se contenter d’apprécier séparément les actes qui, selon le salarié, sont constitutifs d’un harcèlement moral.
En effet, comme l’indique la définition même du harcèlement, il s’agit d’un ensemble de faits ou d’agissements. Par conséquent, il n’est pas concevable de les apprécier séparément.
2. La Cour de cassation prend la peine d’indiquer ce qui, selon elle, devait renverser la charge de la preuve sur les épaules de l’employeur : les certificats médicaux.
Cela ne signifie pas qu’en justifiant de certificats médicaux, le harcèlement moral est nécessairement démontré. Pas du tout !
La Cour indique simplement que ces certificats médicaux laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral et donc renversent la charge de la preuve pour la transférer sur les épaules de l’employeur. Il appartient ensuite à ce dernier de démontrer que son attitude est exempte de tout harcèlement moral…
Le rappel de la Cour de cassation est parfaitement conforme avec l’esprit des textes en matière de harcèlement et de discrimination.
On peut regretter cependant que les Cours d’appel ne soient pas aussi rigoureuses sur l’application des règles sur la répartition de la charge de la preuve.
Ainsi, la Cour de cassation est amenée à intervenir (trop ?) régulièrement sur ces sujets.
Ce travail de pédagogie, comme ici avec cette censure de la décision des juges de DIJON, semble encore long.